Plus c’est gros, plus ça passe. Emmanuel Macron réécrit la Constitution à sa sauce et l’on est prié d’acquiescer. Je vous raconte. Lundi soir, l’Élysée a mis en ligne un communiqué dressant le bilan des premières consultations avec les chefs de partis. Communiqué au terme duquel Jupiter indique qu’il exclut la nomination d’un Premier ministre venu des rangs du Nouveau Front Populaire. Le communiqué précise que le chef de l’État a reçu les responsables de parti et les présidents des deux assemblées dans le cadre de “son rôle constitutionnel d’arbitre, garant de la stabilité institutionnelle et de l’indépendance de la Nation”.
“Garant de la stabilité institutionnelle. » On comprend mieux. Tel une cartomancienne ou un mage de fête foraine, notre bon président doit s’assurer que le Premier ministre qu’il désignera ne sera pas renversé. Boule de cristal et marc de café seront facturés au château. L’ennui, c’est que la Constitution ne prévoit nulle part que le Président soit le garant de ladite stabilité institutionnelle. Car ce concept est une pure invention. Relisons ensemble l’article 5 qui définit le rôle du président de la République. “Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités.”
Concept fumeux
Par on ne sait quel miracle de l’Olympe, voilà que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État sont remplacés par la “stabilité institutionnelle”. Si l’Élysée travestit ainsi la lettre et l’esprit de la Constitution, c’est pour suggérer que le président de la République, en écartant Lucie Castets, aurait été parfaitement dans son rôle de gardien des institutions. La fameuse stabilité institutionnelle pouvant être altérée par l’adoption d’une motion de censure.
On remarquera d’abord que ce risque est inhérent à tout gouvernement, dès lors qu’il ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée. Ce qui est le cas aujourd’hui. Ensuite, le fonctionnement régulier des institutions induit justement que le gouvernement puisse être renversé par une motion de censure. L’inverse constituerait une atteinte grave à nos institutions. Enfin et surtout, la Constitution ne demande aucunement au président de la République d’apprécier la viabilité de tel ou tel gouvernement. Elle n’exige d’ailleurs aucun critère. C’est le bon vouloir du Prince qui prévaut.
Emmanuel Macron n’était donc pas contraint d’écarter Lucie Castets. Qu’il se refuse à la désigner parce qu’elle porte un programme contraire aux orientations des 7 années qui viennent de s’écouler, soit. Qu’il dissimule cette aversion derrière une obligation constitutionnelle, non. Qui plus est, en invoquant une éventuelle censure, le chef de l’État empiète sur les prérogatives du pouvoir législatif. Seul ce dernier peut se prononcer sur le sort du gouvernement : soit par le dépôt d’une motion de censure, soit par un vote après une déclaration de politique générale.
Une spirale infernale
À ceux qui verraient là un simple pinaillage, on signale qu’au nom de la préservation de la stabilité institutionnelle – concept fumeux s’il en est – on pourrait, par exemple, supprimer les élections législatives et présidentielle. Car, par définition, elles peuvent renverser le pouvoir en place. Au point où on en est, pourquoi se gêner.
Dans l’hebdomadaire Le Point, François Hollande estime qu’Emmanuel Macron a commis une faute institutionnelle : “Ça n’était pas au président de la République de “censurer” lui-même Lucie Castets. Cette responsabilité revient à l’Assemblée nationale après que les députés ont pu écouter la déclaration de politique générale et la composition du gouvernement et exprimer leur choix. C’est une faute institutionnelle”. Un président devrait dire ça plus souvent… Au-delà de l’affabulation juridique, ce communiqué de l’Élysée est politiquement irresponsable. Olivier Faure a bien résumé le message.
Ce communiqué du président de la République était proprement lunaire, hallucinant. Repousser le vote des Français, expliquer qu’il n’est pas légitime, faire en sorte de dire qu’il va proposer un gouvernement des battus, puisqu’il propose d’appuyer le prochain Premier ministre, celui qu’il nommera, sur une coalition qui est précisément celle qui a gouverné depuis 7 ans.
Olivier Faure, député PS et Premier secrétaire du PS, le 27/08/2024
Faut-il alors parler de coup d’État ? Écoutez la réponse de Lucie Castets.
Ce n’est pas une expression que j’emploierais à titre personnel parce que je pense que ça correspond à des réalités historiques qui sont différentes. Je pense que c’est un déni de démocratie. Je pense que la décision du président Macron ne correspond pas du tout à la logique des institutions et à la logique démocratique. Je pense que c’est extrêmement inquiétant.
Lucie Castets, candidate NFP pour le poste de Premier ministre, le 27/08/2024
La nuance est importante. La France entre dans une zone grise où elle n’est plus tout à fait une démocratie sans pour autant basculer dans la dictature. C’est ce qu’on appelle l’illibéralisme. Bienvenue dans le monde merveilleux de Viktor Orbán ou de Nicolas Maduro. Au premier tour des élections législatives, 10 millions et demi de voix se sont portées sur l’extrême droite. Et neuf millions sur le Nouveau Front Populaire.
La poursuite du chaos
À ces presque 20 millions d’électeurs, Emmanuel Macron vient dire en substance : “Vous vous êtes déplacés pour rien. Nous n’allons rien changer.” Quand bien même si nous sommes arrivés en troisième position avec 6 millions et demi de voix. Qui peut croire que ce tour de passe-passe soit durablement accepté par les Français ? Pour le coup, c’est là une véritable atteinte à la stabilité institutionnelle dont se gargarise le chef de l’État. C’est la poursuite du chaos ouvert par la dissolution de l’Assemblée nationale.
Malgré deux élections qui rejettent sa politique, il va continuer de la poursuivre. Dans quel autre pays de l’Union européenne ça se produit ? Dans quelle autre démocratie occidentale les urnes sont à ce point bafouées, hormis les Etats-Unis où monsieur Trump a contesté le résultat des élections et a envoyé ses partisans envahir le Capitole ?
Fabien Roussel, Secrétaire national du PCF, le 27/08/2024
Quant à la France insoumise, elle réclame la destitution d’Emmanuel Macron.
Les Français ont voté, ils ont voté quelque chose, et aujourd’hui vous avez un président de la République qui tout simplement n’en tient pas compte et fait comme si ça n’avait pas existé. Et ça ne peut pas se faire sans une réaction de la société française dans son ensemble, et la destitution fait effectivement partie des éléments possibles pour pouvoir réagir.
Manuel Bompard, député LFI et coordinateur national LFI, le 28/08/2024
Dans Libération de ce jeudi, Olivier Faure estime que cette initiative est contre-productive. “Au lieu d’affaiblir le Président, le résultat sera de le renforcer puisqu’il faut deux tiers des voix à l’Assemblée et au Sénat pour aboutir, ce qui est évidemment inatteignable. Je ne vois pas l’intérêt, sinon celui d’un coup de communication sans lendemain.” Pour conserver les rênes du pays, Emmanuel Macron tablait, il y a quelques jours encore, sur une coalition avec la Droite républicaine de Laurent Wauquiez. Même si la tentation existe chez certains des amis du député de Haute-Loire, ce dernier continue d’exclure une participation au gouvernement.
Le bloc macroniste se retrouve isolé
Le bloc macroniste se retrouve isolé. Emmanuel Macron prospecte donc du côté de la gauche. Entendez celle qui sent bon la naphtaline dans son petit costume de notaire de province. J’ai nommé Bernard Cazeneuve, le matraqueur en chef des manifestants contre la loi travail en 2016. Le chef de l’État estime que la nomination de l’ancien ministre de l’Intérieur de François Hollande pourrait détacher le Parti socialiste du Nouveau Front Populaire.
Le pari n’est pas déraisonnable. Une partie des députés socialistes hésitera à censurer celui qui fut aussi Premier ministre d’un président qui aujourd’hui siège parmi eux. Dans le même entretien accordé à Libération de ce jour, Olivier Faure explique que la nomination de Cazeneuve à Matignon ne serait pas synonyme d’une politique de gauche : “On peut avoir de l’estime pour un ancien Premier ministre et un ancien compagnon de route, mais ce n’est pas le sujet. La question, c’est avec quel soutien et pour quoi faire ? À l’évidence aujourd’hui, n’importe quel Premier ministre, quelles que soient son histoire ou ses convictions, sera à la fois l’otage du chef de l’État et des groupes de droite qui le soutiennent« .
L’université d’été du Parti socialiste qui s’ouvre aujourd’hui à Blois devrait être le théâtre d’un affrontement sur cette question. “Plutôt Macron que Mélenchon”, voilà le choix que les opposants au Premier secrétaire veulent installer. La patronne des Écologistes, Marine Tondelier, ne veut pas croire à une rupture.
Je ne vais pas vous dire que je vous garantis qu’aucun membre de tout le parti socialiste ne fera rien d’absurde. Je dis juste que je les regarde parce que je pense qu’on est dans un moment où l’histoire les jugera.
Marine Tondelier, Secrétaire nationale des Écologistes, le 28/08/2024
Le jugement de l’histoire… Ce n’est pas forcément la préoccupation première de tous les socialistes. En revanche, les élections municipales de 2026 pourraient être d’un meilleur conseil. Pour conserver les villes qu’il détient, le PS aura besoin des voix de la France insoumise et des écologistes. Les socialistes qui s’aventureraient à jouer les supplétifs des macronistes y laisseraient des plumes. Ce qui mérite réflexion, même quand on déteste Olivier Faure.