Dimanche soir, selon toute vraisemblance, la liste de Jordan Bardella sera devant toutes les autres. Et dans la foulée, le président du Rassemblement national réclamera la dissolution de l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron refusera. Qu’aurait-il à y gagner ? Le chef de l’État est d’accord pour qu’on légifère sur la fin de vie, mais pas la sienne.
Car le sondage secret commandé par les Républicains au printemps dernier, pendant la réforme des retraites, montrait que de nouvelles élections législatives se traduiraient par une progression spectaculaire du groupe des députés Rassemblement national. Celui-ci ne serait pas loin de la majorité absolue. Mais le président de la République peut-il continuer à faire du cabotage ? À dépendre du bon vouloir des Républicains pour faire passer ses réformes ? Quand on se pique de jouer les chefs de guerre sur la scène internationale, il est assez humiliant de ne pouvoir faire que du dériveur, à Paris, sur la Seine.
Le rapport de force à l’Assemblée nationale reste inchangé
Lundi, les deux motions de censure déposées par La France insoumise et le Rassemblement national n’ont pas été adoptées. Le rapport de force n’a pas changé.
Il a manqué peu de voix. Les voix on sait où elles étaient. Elles étaient du côté des Républicains. Il a manqué peu de voix pour que l’opposition censure le gouvernement. On se retrouve au final avec deux oppositions. Une opposition, la nôtre, qui critique le gouvernement sur sa politique de l’offre et de la compétitivité. L’autre opposition, finalement, le Rassemblement national, a une critique totalement néolibérale qui s’inscrit finalement dans la tradition de la droite, c’est-à-dire “ce gouvernement a trop dépensé, ce gouvernement a trop prélevé , autrement dit pas un mot sur la critique, justement, de baisse des impôts pour les plus riches.
Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 4/06/2024
Les Républicains ont refusé d’apporter leurs voix aux deux textes. Mais ils pourraient être tentés de déposer leur propre motion de censure à l’occasion de l’examen de la loi de finances pour 2025. Olivier Marleix a posé une nouvelle ligne rouge. LR, le parti des peintres en bâtiment !
La ligne rouge que je pose aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, au nom des Républicains avec la même fermeté et la même détermination, c’est de ne pas faire payer aux Français la facture de sept années de laxisme. Il n’est donc pas question que des augmentations d’impôt ou un quelconque rabotage des retraites viennent porter un peu plus atteinte au pouvoir d’achat des Français. Je vous le dis très clairement, monsieur le Premier ministre.
Olivier Marleix, député LR et président du groupe LR à l’Assemblée nationale, le 3/06/2024
La fameuse « fibre sociale » du Rassemblement national
Engagement qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Dès mardi, lors des questions d’actualité, le RN a interpellé le gouvernement sur ses intentions. Faisant preuve ainsi d’une fibre sociale qui n’a rien à voir, bien sûr, avec l’échéance électorale de dimanche soir.
Le ministre de l’économie ne répond jamais aux questions. On l’a interrogé sur son projet caché, qu’il cache aux Français après les européennes, de désindexer notamment les pensions de retraite, ce qui devait être le motif pour LR de déposer une motion de censure. Aujourd’hui, l’inspection générale de l’administration et des finances nous a transmis un courrier, par la Première ministre Borne, qui demandait il y a quelques mois de trouver des pistes d’économies et de chiffrer cette désindexation.
On a demandé au Premier ministre et à monsieur Le Maire de nous donner des explications. Il ne répond jamais aux questions. Il ne répond jamais aux questions et on pariera qu’il pourra forcément y répondre peut-être après le 9 juin car il faut dire aux Français que ce gouvernement va désindexer toutes les prestations sociales sur le budget 2025, à commencer par les pensions de retraite, le RSA, l’allocation adulte handicapé. Tout ça c’est la feuille de route du gouvernement, c’est écrit dans ce courrier.
Kévin Pfeffer, député RN, le 4/06/2024
Autre tuile pour le gouvernement : le vote intervenu mercredi en commission des affaires sociales de l’Assemblée. Les députés qui la composent ont approuvé la proposition de loi déposée par le groupe LIOT « visant à protéger le modèle d’assurance-chômage et soutenir l’emploi des seniors ». Un texte qui gèle les dispositions actuelles de l’assurance-chômage au moment où le gouvernement s’apprête à les dégrader par décret.
Les partenaires sociaux avaient trouvé un accord sur l’assurance-chômage en fin d’année. Le gouvernement aurait pu le valider. Il a considéré qu’il était incomplet sur la question des seniors. Et donc de manière générale on le voit, depuis 2018 ils ont mis en place la règle de la lettre de cadrage qui ne permet pas pour les syndicats de trouver dans de bonnes conditions un accord. Et ce qui permet au gouvernement de reprendre la main, de contourner le Parlement et de travailler par décret. Finalement c’est ce que nous contestons à travers cette proposition de loi. Nous ne voulons pas être contournés.
Benjamin Saint-Huile, député LIOT, le 4/06/2024
La proposition de loi doit être examinée le 13 juin lors de la journée d’initiative parlementaire du groupe LIOT. Ambiance assurée. Le gouvernement est donc suspendu dans le vide. Et au premier chef Gabriel Attal. Mais la gauche est-elle en mesure de le faire chuter ? Car dès dimanche soir la grande recomposition va s’amorcer. Au sein du Parti socialiste, d’abord. Les adversaires d’Olivier Faure comptent bien utiliser le score de Raphaël Glucksmann pour dégager l’actuel Premier secrétaire. Celui-ci reste coupable, à leurs yeux, d’avoir conclu l’accord de la Nupes avec Jean-Luc Mélenchon. Accord qui a pourtant permis aux socialistes – mais aussi aux insoumis, faut-il le rappeler – d’accroître le nombre de leurs députés.
Accord et pas d’accord
Pourtant Olivier Faure ne cesse de prendre ses distances avec celui qui n’est officiellement que le coprésident de l’Institut La Boétie. Le dernier épisode en date fait référence à une note de blog. Jean-Luc Mélenchon affirme que “contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France. Il est en tout cas totalement absent des rassemblements populaires”.
J’ai été heurté, parce qu’au moment où l’antisémitisme explose, personne ne peut parler d’antisémitisme résiduel. C’est qu’il y a aujourd’hui une tentation de sa part, qui est de minimiser, de relativiser l’antisémitisme à un moment où tout nous indique le contraire et que c’est dangereux, parce que, au contraire, avec l’aura qu’il peut avoir sur un certain nombre de milieux, il doit être en mesure de dire à ces électeurs qu’on doit être à la fois à soutenir la naissance d’un état palestinien, et en même temps être en situation de défendre les juifs de France, les Français juifs.
Olivier Faure, député PS et Premier secrétaire du PS, le 4/06/2024
Les urnes vont valider ou sanctionner la stratégie de Jean-Luc Mélenchon et de la direction de la France insoumise. Tout miser sur la mobilisation contre la guerre à Gaza se révélera-t-il un bon choix ? La rumeur avait couru que le leader des insoumis annoncerait sa candidature à la présidentielle de 2027 le soir du 9 juin. Il s’en est défendu dans un tweet cinglant.
“Les ballons d’essai de ce type ont abondé depuis le début de la campagne. La date de la candidature insoumise n’est pas à l’ordre du jour. Et aucun journaliste ne saura avant l’heure ce que nous allons faire.”
L’avenir de la gauche se joue aujourd’hui
Néanmoins un mauvais score pourrait précipiter les échéances. Clémentine Autain et François Ruffin, s’ils veulent porter les couleurs de LFI en 2027, ont tout intérêt à profiter d’une séquence qui verrait Jean-Luc Mélenchon affaibli. Les écologistes sont dans une situation analogue. Même si la liste de Marie Toussaint parvient à rester au-dessus des 5 %, l’actuelle direction n’échappera pas à la contestation interne. En 2019, Yannick Jadot avait recueilli 13,47 % des suffrages. Marine Tondelier pourrait bien payer l’addition.
Le bloc présidentiel aurait cependant tort de parier sur ces combats des chefs. Car l’impact émotionnel d’un RN au-dessus de 30 %, auquel il faudra encore ajouter les voix de Marion Maréchal, pourrait bien ressouder la gauche autour du combat contre l’extrême droite. L’antifascisme reste l’un des ciments de son histoire.