En politique, le refus de régler les problèmes se paye toujours au prix fort. Les journées et les nuits d’émeutes viennent le confirmer, une fois encore. En 2017, à peine installé à l’Élysée, Emmanuel Macron avait commandé à Jean-Louis Borloo un rapport sur les banlieues. L’ancien ministre délégué à la Ville de Jacques Chirac va prendre à cœur sa mission. Plusieurs centaines d’élus locaux et d’associations sont consultés.
En avril 2018, il remet à Édouard Philippe un plan de bataille. De la rénovation urbaine au rôle de la police en passant par la lutte contre la pauvreté, le document ne fait l’économie d’aucune question. Il est salué par des élus locaux de tous bords.
Théorie du ruissellement
Mais voilà, un an après avoir commandé le rapport, Emmanuel Macron a changé d’avis. Il ne veut plus de plan. Il mise désormais sur les bons résultats de l’économie française. C’est la théorie du ruissellement. La prospérité des uns irriguera les quartiers en déshérence. On croulera sous les offres d’emploi et les enfants feront des rondes pour célébrer la mondialisation heureuse. Le rapport Borloo, lui, sera rangé dans un tiroir, d’où il ne ressortira jamais.
C’est la facture de ce renoncement politique que la France paye depuis six jours. Des centaines de communes touchées. Plus de 5 000 véhicules incendiés. Un millier de bâtiments brûlés, dégradés ou pillés : des centres commerciaux, des agences bancaires, des débits de tabac, des enseignes de mode et de sport, des mairies, des commissariats, des brigades de gendarmerie.
45 000 policiers sont mobilisés. Les unités spécialisées ont été mises à contribution : le RAID, le GIGN ou la BRI. À Nîmes, à Vénissieux et dans le 13e arrondissement parisien, les forces de l’ordre ont essuyé des tirs d’armes à feu. À ce jour, plus de 3 000 personnes ont été placées en garde à vue. 570 ont été déférées devant la justice. Sur le terrain, au moins sept journalistes ont été victimes de violences et de vols.
« Des fous furieux sont venus incendier ma maison »
Des élus ont été agressés. À Pontoise dans le Val-d’Oise, à Montluçon dans l’Allier ou à L’Haÿ-les-Roses dans le Val-de-Marne. Dans cette dernière commune, un véhicule enflammé a été lancé contre le domicile du maire LR Vincent Jeanbrun, obligeant son épouse et ses deux jeunes enfants à fuir.
Non, on n’allait pas laisser brûler les équipements municipaux. On n’allait pas laisser brûler l’hôtel de ville. C’est vrai que je l’ai dit, je l’ai affirmé, j’ai voulu dire : « On tiendra. On résistera. » Et j’ai l’impression que c’est ça qui a déplu. C’est ça qui fait que des fous furieux sont venus incendier ma maison, essayer d’attenter à nos vies.
Vincent Jeanbrun, maire LR de l’Haÿ-les-Roses, BFMTV, 3 juillet 2023
Si ce lundi 3 juillet, les violences semblent décroître, la partie n’est pas encore gagnée. Le moindre incident peut relancer l’engrenage de la destruction et de l’affrontement. L’ampleur du soulèvement a surpris tout le monde. Jamais le mimétisme de l’émeute n’avait atteint de pareils niveaux. Même en 2005.
À cause de Snapchat
Pour le gouvernement, l’explication est technique plutôt que politique. Si le mouvement s’est propagé aussi rapidement, a expliqué le garde des sceaux, c’est à cause des réseaux sociaux et notamment de Snapchat. Éric Dupond-Moretti croit avoir trouvé la parade : il a demandé aux opérateurs téléphoniques de communiquer à la justice les adresses IP de tous ceux qui appellent à la violence.
Je veux que la jeunesse sache, de façon claire, que les procureurs de ce pays iront chercher l’identité des utilisateurs des réseaux, notamment Snapchat, qui sont pour ces jeunes un vecteur de communication pour donner le lieu, le moment et la cible de l’agression. Que personne ne pense que derrière ces réseaux sociaux il y a l’impunité.
Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, BFMTV, 1er juillet 2023
La faute des parents
Le ministre de la justice a identifié un second responsable : les parents.
Le président de la République, ce matin, a rappelé que ce n’est pas l’État qui éduque les enfants, mais les parents. Chaque fois que des parents seront en capacité d’exercer leur autorité parentale et qu’ils ne le feront pas, il y a une responsabilité pénale que je souhaite mettre en œuvre.
Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, BFMTV, 30 juin 2023
Que des parents, souvent isolés, aient baissé les bras, c’est certain. Mais peut-on sérieusement réduire ces émeutes à un déficit d’autorité parentale ? C’est un peu court. Comme la grille de lecture proposée hier par Olivier Véran.
Les jeux vidéos
Peut-être que ces jeunes, ils ont aussi été exposés à des images de pillages des villes, dans le mouvement des gilets jaunes lorsque c’était violent dans les centres-villes ou lors de certaines manifestations qui ont dégénéré avec les blacks blocs. Il y a aussi certaines images de jeunes qui tentent de reproduire dans la vie réelle ce qu’ils voient dans la vie virtuelle. L’un des jeux à la mode, c’est un jeu dans lequel vous devez faire du carjacking.
Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, France inter-France info-Le Monde, 2 juillet 2023
Résumons : c’est la faute à Snapchat, aux parents, aux gilets jaunes, aux violences dans les manifestations contre la réforme des retraites et aux jeux vidéo. Mais jamais, au grand jamais, la République n’est pour quelque chose dans le naufrage d’une partie de sa jeunesse. Puisque le gouvernement semble en panne d’analyse, suggérons-lui quelques pistes de réflexion.
Aliénation mercantile
Quand la valeur d’un individu se réduit à la quantité de biens qu’il peut acheter, quand le consommateur prend le pas sur le citoyen, croit-on encore que la morale et le civisme puissent se frayer un chemin ? Quand l’État méprise aussi ouvertement ses agents – les profs, les soignants, la justice et même les policiers – peut-on attendre que la jeunesse respecte ces derniers ? Quand un gamin gagne plus que ses parents en faisant le guet pour les trafiquants de drogue, que pèse encore la culture de l’effort et du mérite ?
Peut-on enfin s’étonner que ceux qui n’ont pas accès au monde de la marchandise s’abandonnent au pillage ? Oublie-t-on que la France compte onze millions de pauvres ? Et que la dictature des marques s’exerce aussi sur ceux qui n’ont ni les moyens de consommer, ni les moyens d’échapper à cette aliénation mercantile. Ce n’est certainement pas une excuse et encore moins une approbation des violences. Mais c’est un début d’explication. Ces émeutes questionnent d’abord le modèle néolibéral dont Emmanuel Macron est l’ardent promoteur.
Automutilation des banlieues
Pure Politique a tourné des images, samedi 1er juillet au soir, sur les Champs-Élysées. Un rassemblement non déclaré devait s’y tenir. Le dispositif mis en place par la préfecture de police était intéressant : les véhicules des forces de l’ordre étaient positionnés devant les devantures des enseignes de luxe et de grands groupes pour les protéger. Combien de petits commerçants dont le magasin a été dévasté auraient aimé bénéficier de cette protection ? Sans parler des services municipaux et des équipements collectifs abandonnés au saccage.
Mais l’automutilation des banlieues inquiète moins le gouvernement que le spectacle éventuel des Champs-Élysées dévastés. À droite et à l’extrême droite, on tient le coupable. Mais bon sang, c’est bien sûr Jean-Luc Mélenchon ! En appelant à préserver les écoles, les bibliothèques et les gymnases, le leader de La France insoumise aurait légitimé toutes les autres destructions.
« Mélenchon est un danger pour la République »
Cette phrase est un appel à pouvoir attaquer en toute liberté, à inciter à attaquer les autres bâtiments, y compris les commissariats et les mairies puisqu’ils ne figuraient pas dans cette liste qui était quelque part épargnée par le chef de bande. Monsieur Mélenchon est un danger pour la République.
Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et président du parti Les Républicains, Europe 1-CNews, 2 juillet 2023
Évidemment on parlera de La France insoumise qui d’ailleurs pourrait s’appeler la France incendiaire parce que depuis le début des émeutes ont tout fait pour inciter à l’insurrection et inciter au soulèvement contre l’ordre républicain et contre les forces de l’ordre. C’est encore une fois puni par la loi, c’est l’article 433-10 du Code pénal.
Jordan Bardella, président du Rassemblement national, RTL-LCI-Le Figaro, 2 juillet 2023
Escroquerie intellectuelle
Il y a certainement 1 000 raisons de critiquer Jean-Luc Mélenchon, y compris à gauche. Mais aucune de tordre ses propos. Écoutez ce qu’il a vraiment dit.
Jamais les insoumis n’ont été pour la violence. Et à chacun, et notamment aux plus jeunes qui sont très nombreux aujourd’hui dans ces actions : non, l’école est le temple le plus sacré que tu aies, garçon ou fille, il ne faut pas y toucher. Les bibliothèques, le gymnase, tout ce qui est à nous tous, qui est notre bien commun.
Jean-Luc Mélenchon, coprésident de l’Institut La Boétie, chaîne Youtube de JEan-Luc Mélenchon, 30 juin 2023
Au demeurant, combien de jeunes des quartiers entre 13 et 17 ans, écoutent encore les responsables politiques ? Combien connaissent Jean-Luc Mélenchon ? Faire de ce dernier le chef d’orchestre clandestin du mouvement est une escroquerie intellectuelle.
Sonner le glas
Quant à l’exécutif, le voilà contraint de remettre son ouvrage sur le métier. A peine sorti des retraites, il est rattrapé par les banlieues. Il y a une semaine, Emmanuel Macron était à Marseille pour relancer son quinquennat. C’était il y a un siècle.
Il y a trois mois, Élisabeth Borne estimait que le pays avait besoin d’apaisement. Elle ne pensait pas que l’histoire lui donnerait raison à ce point. Mais cette crise majeure pourrait sonner le glas de son séjour à Matignon. Car pour rebondir, Emmanuel Macron devra trouver une nouvelle figure de proue.