L’hémicycle de l’Assemblée nationale, c’est un peu comme le Festival de Cannes ou la cérémonie des Césars. Il y a des caméras et on en profite pour faire le buzz. Le député insoumis Sébastien Delogu qui a brandi, mardi, un drapeau palestinien dans l’hémicycle, n’est pas le premier représentant du peuple à perturber une séance. Et il ne sera certainement pas le dernier. C’est interdit, mais ça fait partie de la vie parlementaire.
Sébastien Delogu savait très bien qu’il tombait sous le coup de l’article 70 alinéa 1 du règlement de l’Assemblée nationale. Celui-ci dispose que “peut faire l’objet de peines disciplinaires tout membre de l’Assemblée qui se livre à des manifestations troublant l’ordre ou qui provoque une scène tumultueuse”. Quatre sanctions sont prévues. Le rappel à l’ordre, le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal, la censure et la censure avec exclusion temporaire. C’est cette dernière mesure qui a été retenue contre le député par le bureau de l’Assemblée réuni en urgence.
Sébastien Delogu est donc interdit de paraître à l’Assemblée pendant 15 jours et se voit privé pendant deux mois de la moitié de son indemnité parlementaire. Mais est-ce vraiment le fait d’avoir brandi un drapeau dans l’hémicycle qui est sanctionné ? Après son geste, Sébastien Delogu est venu se justifier devant les journalistes.
Je me fous complètement de la sentence que va me donner la présidente de l’Assemblée, le bureau de l’Assemblée. Ça va être une médaille pour moi de recevoir une sanction. Je me fous complètement de ce qu’elle pense, et de ce que pensent les autres.
Sébastien Delogu, député LFI, le 28/05/2024
Sébastien Delogu sanctionné pour ses propos
Ce sont ces propos, davantage que le geste, qui ont motivé la décision du bureau. Écoutez Sébastien Chenu, député RN, venu devant la presse rendre compte de la décision du bureau en sa qualité de vice-président de l’Assemblée nationale.
Monsieur Delogu est allé s’exprimer devant vous, devant la presse, pour dire qu’il était très fier de lui, qu’il ne regrettait rien, qu’il voyait ça comme une médaille. Eh bien puisqu’il voit ça comme une médaille, le bureau de l’Assemblée lui a décerné la médaille d’or, c’est-à-dire la sanction la plus importante.
Sébastien Chenu, député RN, le 28/05/2024
Bref, ce qui est surtout reproché au député, c’est de ne pas avoir fait amende honorable. Cette disproportion dans la sanction a eu pour conséquence immédiate de ressouder la NUPES. L’espace d’un instant.
Effectivement, nous étions, je pense, tous d’accord dans le bureau pour qu’il y ait une sanction. Est-ce que maintenant le fait d’arriver avec un drapeau vaut une sanction maximale ? La réponse est non, en tout cas moi j’ai voté contre. Il y avait eu un précédent avec un député, le député Nadeau qui précédemment avait affiché un drapeau “la France tue au Yémen” et là-dessus c’est la sanction numéro deux qui avait été appliquée. Donc cette jurisprudence là vaut aussi pour que l’état de droit soit aussi appliqué à l’Assemblée nationale.
Valérie Rabault, députée socialiste et vice-présidente de l’Assemblée nationale, le 28/05/2024
Cette exclusion est une sanction disproportionnée qui a été prise au tempo du Rassemblement national. C’est le Rassemblement national qui fait se terminer les questions au gouvernement en tapant sur les tablettes. Ce sont eux avec les Républicains et la majorité qui demandent cette sanction maximale. C’est une faute de les avoir suivi dans cette volonté maximaliste de la sanction.
Cyrielle Chatelain, députée écologiste et présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, le 28/05/2024
Je rappelle qu’à chaque fois qu’il y a des peuples qui sont martyrisés, il est de coutume ici à l’Assemblée nationale de rentrer dans l’hémicycle avec des drapeaux. Ca a été fait par exemple avec des drapeaux ukrainiens, en badge sur les costumes pour dénoncer à l’époque les victimes civils ukrainiennes. Ca a été fait à de multiple reprises
Manuel Bompard, député LFI, le 28/05/2024
La droite et l’extrême droite en profitent
La droite et l’extrême droite ont donc profité de la circonstance pour régler leurs comptes avec la France insoumise. Delogu paye davantage l’addition du bruit et de la fureur pendant des mois qu’un geste interdit.
On ne pouvait pas rester en séance publique avec une telle provocation. C’est la dernière étape d’une stratégie de brutalisation du débat public qui ne peut mener à rien si ce n’est à faire le carburant de l’extrême droite. Je pense que monsieur Delogu doit se rendre compte qu’il est aujourd’hui coupable de cette stratégie.
Mathieu Lefèvre, député Renaissance, le 28/05/2024
On voit en fait au fond une instrumentalisation totale de la cause palestinienne par la France insoumise pour une fois de plus importer ce conflit jusque dans l’hémicycle pour importer le chaos, pour diviser, pour cliver notre société. C’est leur stratégie de campagne depuis des mois.
Benjamin Haddad, député Renaissance, le 28/05/2024
Nous sommes face à un conflit international d’une extrême gravité, avec des conséquences dramatiques. Pour les insoumis, ce n’est qu’un sujet bassement, purement politicien, électoral. Ils sont honteux, ils sont indignes.
Éric Ciotti, député LR et président du parti LR, le 28/05/2024
Ils sont, je crois, en recherche d’un électorat. Je crois que la manière dont ils le font, qui est on peut le dire pour le moins excitée, pour le moins virulente, est plutôt de leur part une manière d’exprimer une forme d’antisémitisme en permanence.
Laurent Jacobelli, député RN, le 28/05/2024
C’est curieux, quand Jordan Bardella en novembre de l’année dernière affirmait ne pas croire que Jean-Marie Le Pen fut antisémite malgré six condamnations, on n’a pas entendu Laurent Jacobelli protester. Sa télé était sans doute en panne.
Deux altercations pour le prix d’une
Venons-en maintenant aux altercations, salle des 4 colonnes. La première intervient immédiatement après que Sébastien Delogu a brandi le drapeau palestinien. Elle oppose Meyer Habib, député apparenté au groupe Les Républicains et l’insoumis Sébastien Delogu.
“D’où il est député ?” demande Sébastien Delogu. Pour la bonne compréhension, on rappelle que Meyer Habib représente la 8e circonscription des Français de l’étranger qui comprend les pays et territoires suivants : Italie, Malte, Saint-Marin, Saint-Siège, Chypre, Grèce, Turquie, Israël, Jérusalem. Nous reprenons ici la terminologie officielle du ministère des Affaires étrangères.
De fait, Meyer Habib dans ses interventions à l’Assemblée nationale se montre très proche de l’aile droite du Likoud israélien. Il ne fait d’ailleurs pas mystère de ses liens d’amitié avec le Premier ministre, Benyamin Netanyahou. Dans cette première séquence, c’est donc lui qui est viré par Sébastien Delogu. Ce qu’il n’a pas apprécié, on le conçoit. Voilà pourquoi il revient à la charge un peu plus tard. Et il n’hésite pas à perturber l’échange des députés insoumis David Guiraud et Alma Dufour avec les journalistes.
Boîte à gifles
Sans l’intervention des huissiers, la boîte à gifles aurait été ouverte. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, on regrette l’époque où les députés réglaient leurs différends à l’épée. Le dernier duel remonte à 1967. Il opposait Gaston Defferre, maire de Marseille et président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, au député gaulliste du Val-d’Oise, René Rivière. Le premier avait traité le second d’abruti. Les bonnes traditions se perdent… Peut-être le MMA serait-il plus tendance aujourd’hui. Sait-on jamais.
La journée ne s’arrête pas là. Car une polémique vient alors se greffer sur l’altercation entre David Guiraud et Meyer Habib : celle de la nature des insultes échangées. Invité sur le plateau de BFM, Meyer Habib annonce qu’il va porter plainte : « Traiter de “porc” les juifs c’est la plus vielle insulte antisémite du monde » déclare-t-il. La justice tranchera. Mais on remarquera que c’est Meyer Habib qui introduit une référence aux cochons dans l’échange. Et que par ailleurs sa surcharge pondérale plutôt que sa confession semble être à l’origine de l’injure. Bien sûr, on peut se livrer à une exégèse des engagements ou des sympathies affichées par David Guiraud pour en arriver à la conclusion souhaitée. Mais là, on quitte le terrain du droit pour la construction intellectuelle.
Au regard du carnage en cours à Gaza, l’indignation que suscite un drapeau palestinien déployé dans l’hémicycle apparaît bien dérisoire. Si ce geste contrevient sans conteste au règlement, il ne méritait pas autant d’outrance dans la réprobation. Et de sévérité dans la sanction. Ce sont les électeurs, dans deux semaines, qui trancheront. La représentation nationale s’honorerait davantage en demandant à son tour, par exemple, que la France reconnaisse à côté de l’État d’Israël, un État palestinien.