Mardi, c’était le 9 mai. Et le 9 mai, c’est la journée de l’Europe. Peu de Français le savent et ça ne les empêche pas de dormir. C’est ainsi, notre calendrier déborde de commémorations et de célébrations diverses. La journée du câlin, la journée sans viande, la journée de la courtoisie au volant… Et l’année prochaine, il y aura certainement la journée de la casserole, vu le succès de cet ustensile par les temps qui courent.
À l’occasion de cette journée de l’Europe, l’Assemblée a donc examiné une proposition de loi du groupe Renaissance visant à apposer sur la façade de chaque mairie le drapeau européen à côté du drapeau tricolore. Dans la nuit du 10 au 11 mai, le texte a été adopté en première lecture par 130 voix contre 109 au terme d’un débat lunaire. Lunaire, parce que l’Assemblée a réussi à légiférer sur un symbole qui n’a pas d’existence légale comme le rappelle Olivier Marleix, le président du groupe des Républicains.
D’autres chats à fouetter
Dans notre constitution, il y a un drapeau, et un seul, qui est le drapeau bleu, blanc, rouge. C’est ce que dit notre constitution. Le drapeau européen n’a pas d’existence aujourd’hui dans les traités européens. Le seul texte européen qui a proposé de reconnaître le drapeau européen c’était le projet de constitution. Et je n’oublie pas que ce projet de constitution a été rejeté par une majorité de Français. Donc moi je suis partisan qu’on reste dans la logique où le drapeau européen reste une faculté, une possibilité de mettre à côté du drapeau tricolore mais pas une obligation. On serait d’ailleurs le seul pays de l’Union européenne à inscrire l’obligation de poser le drapeau européen à côté du drapeau national dans la loi. Aucun autre à ma connaissance ne l’a fait.
Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et président du groupe parlementaire LR, Palais Bourbon
Un débat lunaire encore, parce que tout simplement le pays a d’autres chats à fouetter.
On a le sentiment que la majorité, le gouvernement, essaie à la fois de faire diversion et puis aussi d’imposer un point de vue libéral sur la société.
Pierre Dharéville, député GDR-Nupes des Bouches-du-Rhône, Palais Bourbon
Esprit de revanche
Dans toutes les têtes, la réforme des retraites n’est pas tournée parce que les préoccupations des habitants ce n’est pas de savoir quel drapeau, quelle couleur, de quelle couleur on va peindre la porte de la mairie, mais les préoccupations des gens, que nous avons encore rencontrés durant le week-end, c’est les fins de mois difficiles, la question du pouvoir d’achat, l’inflation qui fait mal aux vies. Et si les marcheurs n’étaient pas aussi déconnectés qu’ils le sont ils auraient des propositions de loi un peu plus en phase avec ce que les gens ont dans la tête.
Sébastien Jumel, député GDR-Nupes de Seine-Maritime, Palais Bourbon
Mais voilà, cette affaire de drapeau était guidée par un esprit de revanche. Malmenés depuis des mois et des mois, les macronistes entendaient reprendre l’initiative à travers une bataille sur les symboles. Écoutez le rapporteur de la loi présenter son texte. On est dans les toutes premières minutes de son intervention :
Ceux qui balaient d’un trait de plume l’histoire d’un drapeau né cinquante ans avant le traité constitutionnel de 2005, en méconnaissent également le sens et la portée. Ce sont d’ailleurs en général les mêmes qui, à l’instar de madame Le Pen, proposent soit de retirer le drapeau européen de tous les bâtiments publics, ou ceux, comme monsieur Mélenchon, qui sont indignés devant la présence de ce qu’ils nomment « une forfaiture démocratique » au sein de notre Assemblée. Ceux qui s’opposent au pavoisement de nos mairies aux couleurs tricolores et européennes, ne s’opposent pas au drapeau mais à l’idée européenne elle-même.
Mathieu Lefèvre, député Renaissance du Val-de-Marne, Assemblée nationale
Nouvelle ligne de partage politique
On l’a compris, il s’agissait davantage de renvoyer dos à dos les insoumis et Le Rassemblement national plutôt que de clamer un quelconque amour de l’Europe. Heureusement qu’Élisabeth Borne appelait à l’apaisement il y a quelques semaines. Salle des Quatre-Colonnes, Sacha Houlié reconnaissait que ce débat sur le pavoisement avait pour objectif d’installer une nouvelle ligne de partage politique.
Je pense qu’il y a un front populiste qui est à l’œuvre. Vous verrez tout à l’heure les députés de La France insoumise voter aux côtés des députés du Rassemblement national, contre l’Union européenne, contre le fédéralisme, contre les plans de relance, contre l’aide qu’on nous a apporté sur les vaccins, contre l’unification au niveau des pouvoirs réglementaires et notamment du contrôle extérieur des frontières. Et donc on aura l’illustration une nouvelle fois parce que ça n’est qu’une fois de plus… Je rappelle le vote sur les vaccins, sur la réintégration des soignants non-vaccinés la semaine dernière, une nouvelle fois ce front populiste n’est à l’œuvre que pour entraver notre pays et puis lui porter atteinte dans ses éléments les plus fondamentaux.
Sacha Houlié, député Renaissance de la Vienne et président de la commission des lois, Palais Bourbon
« Le front populiste » qui entrave le pays… Le refrain n’a pas changé : les vilains extrêmes qui se liguent contre le gentil bloc central. Reste-t-il quelqu’un depuis la réforme des retraites pour croire cette fable ? Dans les rangs des alliés de Renaissance, on ne cachait pas un certain embarras, tant le piège était grossier.
Pomme de discorde
Une fois qu’on a mis le sujet sur le débat et que maintenant il y a ce texte il faut aller jusqu’au bout et voter ce texte même si nous au groupe MoDem…
Vous y êtes contraints ?
Non, non, on n’est pas contraints, parce qu’on pense, on a une autre idée de l’Europe et on a l’Europe chevillée au corps. Par contre on continue à penser que ce n’était pas le meilleur moment pour faire ce texte. Sachant que moi j’avoue en première intention et en première étude sur ce texte, je pensais que c’était déjà obligatoire. Donc voyez… En réalité ça n’est obligatoire que le 9 mai.
Erwan Balanant, député MoDem du Finistère, Palais Bourbon
En agitant ainsi le drapeau européen, les stratèges macronistes poursuivaient un second objectif : enfoncer un coin dans l’unité fragile de la Nupes. L’Europe est en effet une des pommes de discorde de la coalition électorale. Les écologistes veulent faire cavalier seul aux élections européennes de l’année prochaine.
Le contexte politique est un peu ridicule. L’exécutif, on voit bien qu’ils sont bloqués sur les réformes de fond. Là ils versent dans du symbolique, quelque chose qui est quand même très accessoire. Ceci étant, pour les écologistes la question européenne est une question fondamentale. C’est la bonne échelle pour mener les combats sur l’environnement, sur les droits de l’homme, sur l’État de droit, sur la défense européenne. On votera dans ce sens-là.
Jérémie Iordanoff, député écologiste-Nupes de l’Isère, Palais Bourbon
Déconnexion
La Nupes allait-elle se fracasser sur les récifs européens ? Eh bien, les macronistes en ont été pour leurs frais. La nuit du 10 au 11 mai, les députés écologistes sont partis se coucher avant le vote. Seuls deux d’entre eux assuraient la permanence. Ils se sont finalement abstenus sur la proposition de loi. Quant aux députés communistes, ils étaient déjà dans leur lit. Seuls cinq députés socialistes, dont le président du groupe, Boris Vallaud, ont voté pour le texte d’Aurore Bergé et ses amis.
Mardi 9 mai, le Premier secrétaire du PS dédramatisait par avance ce vote. Préférant incriminer la déconnexion de Renaissance avec les préoccupations des Français.
Plutôt que de chercher à produire des textes qui intéressent les Français, ils sont plus dans la manœuvre. Mais rien ne nous divisera sur ces questions-là. Peu importe, nous ne votons pas toujours la même chose, ça n’est jamais un drame et ça ne nous empêche pas de continuer à travailler ensemble. Cette question de drapeau est une question totalement illusoire puisqu’en fait ils veulent mettre une obligation sans sanction. Donc en fait tout le monde fera ce qu’il voudra. C’est vous dire à quel point on a du temps à perdre ici. Moi je crains que malheureusement ne fasse plus de mal en vérité au Parlement qu’il ne serve la cause européenne.
Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et secrétaire national du Parti socialiste, Palais Bourbon
Flop
La manœuvre a donc fait flop, car la gauche ne s’est pas divisée. Certes, la proposition de loi a été adoptée. Mais au final, l’obligation de pavoisement ne concernera que les mairies des villes de plus de 1 500 habitants. Soit environ 20 % des communes. En effet, dans la discussion, il est apparu que les petites municipalités n’avaient tout simplement pas 3 000 euros à consacrer à l’achat de plusieurs drapeaux européens et à l’installation d’un mât supplémentaire. Ironie de l’histoire, cette modification de la proposition de loi a été introduite par un amendement du rapporteur de la loi. La bataille des symboles a fini par rencontrer le mur du réel.
Mais en échange de ce recul sur leur texte, les macronistes ont exigé et obtenu que la photo du président de la République soit affichée dans toutes les mairies. Le député insoumis Antoine Léaument a alors mis les pieds dans le plat :
Rendez-vous compte de ce que vous venez de faire. Vous venez de dire que les communes de moins de 1 500 habitants ne seraient pas obligées d’afficher le drapeau européen et le drapeau français. Mais vous venez de décider que dans toutes les communes il faudrait mettre le portrait du président de la République. Vous venez de dire devant l’Assemblée nationale, devant le peuple français, que le portrait d’Emmanuel Macron vaut plus que le drapeau français et que le drapeau européen. Vous aimez les symboles, je vous en propose un qui devrait rassembler l’ensemble de notre Assemblée nationale car il constitue le sel du peuple français. Il s’agit d’afficher sur les frontons de toutes les mairies, sans exception cette fois-ci, la devise nationale : liberté, égalité, fraternité.
Antoine Léaument, député LFI-Nupes de l’Essonne, Assemblée nationale, 10 mai 2023
Résultat des courses, la devise républicaine sera également affichée dans toutes les mairies de France. Ce texte de loi sur le drapeau européen obligatoire n’a, quant à lui, pas grand avenir. Les Républicains ont voté contre. Et comme ils sont majoritaires au Sénat, il a de fortes chances de finir en lambeaux.