C’est ce qui s’appelle surfer sur la vague. Celle d’une partie de l’opinion.
Je pense que la rencontre des cultures est positive. Mais dès l’instant que vous avez le sentiment d’une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, de ne plus reconnaître les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là vous avez rejet.
François Bayrou, Premier ministre, le 27/01/2025
La submersion a bien failli faire couler le caboteur de Matignon. Qui est également un sacré cabotin, comme me le rappelait un ami cynophile. Mais ça, c’est une autre histoire. Or donc, à trop se rapprocher des côtes du Rassemblement national, l’esquif palois s’est éloigné des rivages socialistes.
Submersion. Ce mot est celui de l’extrême droite partout en Europe et dans le monde. Un mot qui blesse autant qu’il ment. Choisissez-vous vos mots par hasard ? Ou les avez-vous sciemment emprunté à l’extrême droite dont vous prétendez ne plus jamais vouloir dépendre ? Et que dire de ceux de votre ministre de l’Intérieur ou de votre ministre de la Justice.
Si vous gouvernez avec les préjugés de l’extrême droite, nous finirons gouverner par l’extrême droite et vous en aurez été le complice.
Boris Vallaud, député Socialistes et apparentés et président du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale, le 28/01/2025
Cette émission, et le passage que vous indiquez, étaient fondés sur la situation à Mayotte. Et donc, quiconque, quiconque est allé à Mayotte, quiconque a parlé avec les habitants de Mayotte, quiconque s’est confronté à la situation à Mayotte et ça n’est pas le seul endroit de France, mesure que le mot de “submersion” est celui qui est le plus adapté.
Les préjugés sont nourris par le réel. Je n’ai aucune connivence avec personne ni avec ceux qui exagèrent les réalités ni avec ceux qui nient les réalités.
François Bayrou, Premier ministre, le 28/01/2025
Submersion ? Vraiment ?
Un sentiment de submersion. Qu’est-ce à dire ? La Fondation Jean Jaurès qui publie chaque année une passionnante enquête sur les Fractures françaises, en partenariat avec le Monde, le Cevipof et l’Institut Montaigne, a relevé quelque chose d’approchant. Un peu plus de 60 % des Français considèrent qu’aujourd’hui, on ne se sent plus chez soi comme avant. Mais ce chiffre n’a pas bougé depuis 10 ans. Le sentiment évoqué par François Bayrou n’est pas nouveau. Pourquoi le Béarnais l’a-t-il soudain tiré de sa musette ?
Les députés socialistes ont été profondément choqués par les mots employés par le Premier ministre. D’abord parce que ce sont des mots qui sont ceux de l’extrême droite. Parler de “submersion” est contraire aux faits. La moyenne française est inférieure à la moyenne des pays européens et clairement nous n’avons pu y voir qu’un clin d’œil nauséabond à une forme de bienveillance ou de neutralité de l’extrême droite.
Et nous considérons que dans le moment c’est une faute lourde. D’autant que ça intervient après la publication d’une circulaire par le ministre de l’Intérieur qui est profondément injuste. Elle est injuste pour plusieurs raisons. D’abord, en augmentant le délai de 5 à 7 ans pour obtenir des papiers, eh bien elle est contraire à toute la politique d’intégration qui a fait ses preuves dans l’histoire.
C’est donc clairement un clin d’œil à l’extrême droite qui est contre les intérêts du pays.
Emmanuel Grégoire, député Socialistes et apparentés, le 28/01/2025
Dans le camp du Premier ministre, on tente de dégonfler l’incident.
Il a déjà parlé de “sentiment de submersion” pour un certain nombre de personnes dans notre pays. Il faut l’entendre. Mais il a aussi rappelé que les apports de l’immigration en termes culturels même en termes économiques.
Je peux vous dire à la question que je lui ai posé sur le sujet, il nous a bien dit que pour lui l’important c’est qu’on ait dans notre pays une politique migratoire qui permette l’intégration des populations qui souhaitent venir dans notre pays. Intégration par le travail, par la langue et évidemment par le respect de nos principes républicains.
Erwan Balanant, député MoDem, le 28/01/2025
Ce sentiment de submersion repose-t-il sur une réalité ? Autrement dit, une déferlante migratoire est-elle sur le point de noyer la France ? On est allé consulter les gars de la marine pour en avoir le cœur net.
Quel sentiment de submersion migratoire ? Ce n’est pas un sentiment. On ne va pas nous refaire le coup du sentiment d’insécurité, du sentiment de laxisme. Les Français n’ont pas des visions, ils n’ont pas des lubies. Ils voient que l’immigration entraîne l’insécurité. Ils voient qu’aujourd’hui ce n’est plus possible.
Un demi-million de migrants légaux par an. Un million de migrants illégaux sur le sol national. Les obligations de quitter le territoire français qui ne sont jamais appliquées. La faiblesse de la France vis-à-vis de l’Algérie. Ils le voient les Français. Ce n’est pas un sentiment.
Laurent Jacobelli, député RN, le 28/01/2025
Je vois aujourd’hui tous les gauchistes qui s’offusquent. Je vois la présidente de l’Assemblée nationale qui pince le nez. Mais les mots sont inutiles et constants. On les connaît, ils sont anciens. On a alerté depuis des années, en tout cas en ce qui me concerne. Maintenant, passons aux actes.
Eric Ciotti, député UDR et président du groupe UDR à l’Assemblée nationale, le 28/01/2025
Aucun tsunami en vue
L’ennui, c’est que les chiffres démentent les affirmations de Laurent Jacobelli et Éric Ciotti. La délivrance des titres de séjour a augmenté de 2,5 % entre 2022 et 2023. On ne peut pas parler d’un tsunami. Et quand on fait un tour sur le site de l’INSEE, on découvre que ces dernières années, le solde migratoire a tendance à baisser. Autrement dit, que la différence entre le nombre d’immigrés qui arrivent et ceux qui repartent se réduit.
Bref, en fait de submersion, c’est surtout de subversion des esprits dont il s’agit. Celle à laquelle se livre l’extrême droite depuis des années en amalgamant insécurité et immigration, dépenses sociales et immigration, chômage et immigration, terrorisme et immigration, religion et immigration.
Pour François Bayrou, le timing est délicat. Avec sa métaphore marine, il comptait s’attirer les bonnes grâces du Rassemblement national dans le cas probable où la discussion budgétaire se terminerait par une motion de censure. Aujourd’hui même, une Commission mixte paritaire de 7 députés et 7 sénateurs planche sur un compromis entre le Sénat et l’Assemblée. Résultat ce soir ou demain, à l’heure des croissants.
Si les parlementaires parviennent à se mettre d’accord sur un texte, celui-ci sera soumis au vote des députés lundi. A moins que le gouvernement, pressentant un vote défavorable, brandisse son totem d’immunité : l’article 49-3. C’est le scénario le plus vraisemblable. Dans ce cas, le vote sur une motion de censure interviendrait mercredi 5 ou jeudi 6 février. Si le RN ne vote pas la censure, François Bayrou est sauvé. Au moins jusqu’à l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Mais si Marine Le Pen décide de renverser le Premier ministre, François Bayrou ne peut trouver son salut que du côté des socialistes. S’ils ne votent pas la motion de censure, la motion ne sera pas adoptée. Il y avait bien le groupe LIOT qui se proposait ces dernières semaines de voter la censure. Ces 23 députés pouvaient faire la balance. Mais ça, c’était avant.
Voter la censure, c’est encore aggraver les déficits publics. On constate que la censure a déjà neutralisé un certain nombre d’économies de dépenses qui auraient dû intervenir au 1er janvier et a aggravé de dix milliards minimum l’ensemble de la maquette budgétaire.
Voter la censure est une mesure irresponsable. Nous, nous faisons le pari que le gouvernement sera capable d’entendre ce message et de prendre des mesures qui soient cohérentes et qui garantissent que les finances publiques soient encore maîtrisées.
Harold Huwart, député LIOT, le 28/01/2025
Les socialistes occupent donc une position charnière. Mais depuis le clin d’œil matignonesque en direction de l’extrême droite, ils ont augmenté leurs tarifs. L’infidélité a un prix.
Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, voulez-vous dépendre aussi du Rassemblement national ? Parce que nous ne voulons pas que notre pays vive sous tutelle de l’extrême droite, et parce que nous sommes responsables, nous avons accepté de discuter avec vous. Nous attendons du Premier ministre qu’il soit clair sur l’aide médicale et qu’il abandonne toute référence à la “submersion migratoire”.
Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat, le 27/01/2025
Le Père Noël est une ordure
Résumons la liste au Père Noël des socialistes. Il y a d’abord ce qui était déjà promis et qui a été écarté par les sénateurs. Les 4 000 postes d’enseignants, les 500 personnes de plus pour France Travail et un à deux milliards de plus pour les dépenses de soins à l’hôpital. Le président de la Commission des finances, l’insoumis Éric Coquerel, estime que le gouvernement peut lâcher sur ces points grâce à un petit tour de passe-passe. Du genre “donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure”.
Ils vont clairement essayer de remettre en place certains des amendements qui ont été battus au Sénat. Je pense par exemple à celui sur les 4 000 postes d’enseignements préservés mais dont je rappelle, et je pense qu’ils y arriveront, pour être clair, dont je rappelle que c’est simplement 50 millions d’euros pour l’État et dans le même temps il y avait un amendement au Sénat, demandé par le gouvernement, qui baissait une autre ligne budgétaire du ministère de l’Education nationale d’autant, c’est-à-dire de 50 millions. C’est un peu un jeu de dupes.
Je pense que ces deux amendements passeront en CMP, ce qui fait qu’en réalité, j’allais dire, la concession attribuée au Parti socialiste sera équilibrée par autant de pertes pour le ministère de l’Education nationale. Donc ça, ça montre bien, j’allais dire, un petit peu l’entourloupe qui est derrière tout ça et qui est un peu l’arbre qui cacherait une forêt austéritaire.
Je ne sais pas si ça suffira au Parti socialiste mais je doute que le groupe socialiste dans son ensemble se fasse prendre à ce genre d’entourloupe.
Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 28/01/2025
Depuis hier, les négociateurs du PS ont rajouté dans la corbeille le maintien de l’Aide médicale d’État à son niveau actuel, la hausse du SMIC et de la prime d’activité, une hausse de la taxe sur les transactions financières et le maintien sur deux ans et non une seule année, de la surtaxe sur les profits des grandes entreprises.
Pour Éric Coquerel, qui siège à la commission mixte paritaire, le gouvernement, quoi qu’il en dise, s’apprête à passer un compromis non pas avec les socialistes, mais avec la droite.
Manifestement ils cherchent surtout des compromis et une CMP conclusive entre le socle commun à l’Assemblée nationale et la droite sénatoriale. C’est fortement ce qui les préoccupe. Et j’ai l’impression que c’est quelque chose qui sera possible si j’en crois déjà les amendements communs qui tombent devant ma commission et qui sont signés par les deux rapporteurs, c’est-à-dire monsieur Husson pour la droite sénatoriale et monsieur Amiel pour le socle commun puisque c’est lui qui fera office de rapporteur.
Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 28/01/2025
Pour autant, ce poker menteur semble correspondre à ce que réclame l’opinion. A preuve ce sondage de l’institut Odoxa. Les trois quarts des Français approuvent les négociations en cours. A charge pour les socialistes de ne pas être les dindons de la farce. C’est loin d’être gagné.