L’exécutif a activé, ce mercredi 19 octobre, l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour voter, sans débat, l’adoption de la première partie du projet de loi de finances pour 2023. La Nupes a déposé une motion de censure dans la foulée.
Comme prévu, la Première ministre a donc engagé, mercredi 19 octobre, la responsabilité de son gouvernement sur le projet de loi de finances. Elle s’est exprimée devant les députés : « Au sixième jour de débats, bon nombre d’amendements sont encore à examiner. Ensuite, et surtout, les oppositions ont toutes réaffirmé leur volonté de rejeter le texte. En responsabilité, nous devons donner un budget à notre pays. Aussi, sur le fondement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, j’engage la responsabilité de mon gouvernement pour la première partie du projet de loi de finances pour 2023. »
L’opposition tente de résister…
Et comme prévu, la Nupes a déposé une motion de censure, comme l’a indiqué Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale. « Le macronisme est devenu un autoritarisme. D’abord parce qu’ils sont minoritaires dans cet hémicycle. Parce que le vote de la représentation nationale leur a déplu, avec pas moins de quatre défaites lors de l’examen du budget la semaine dernière. Et puis parce que la macronie est aussi, et cela ne vous a pas échappé, extrêmement divisée, en train de s’éparpiller façon puzzle. Nous ne gouvernons pas la France à coup de 49-3, et c’est pourquoi la Nupes, qui se tient devant vous, a décidé séance tenante de déposer une motion de censure. »
Le Rassemblement National avait également émis l’hypothèse d’un dépôt de motion de censure. Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme précise les intentions du parti. « Nous allons la déposer demain. Marine Le Pen et le groupe veulent prendre le temps de choisir les bons mots, de ne pas avoir de réaction pavlovienne. On veut aussi faire une motion qui n’est pas purement la position du RN, qui est une analyse de la situation objective pour que, peut-être, d’autres forces politiques la soutiennent. »
… en vain
Ces motions seront mises au vote en début de semaine, au plus tard mardi 25 octobre. Dissipons tout de suite le suspense : aucune de ces deux motions de censure ne sera adoptée. D’abord parce que les Républicains n’en voteront aucune, comme l’a confirmé Olivier Marleix, président des LR à l’Assemblée. « Ça me semble totalement inutile de rajouter du chaos au chaos. Cette Assemblée nationale, elle fonctionne depuis huit semaines, si mes calculs sont bons, depuis la session extraordinaire. Très sincèrement, ce ne serait pas sérieux de rajouter du désordre au désordre. »
Et si on en croit Marine Le Pen, le RN ne votera pas la motion de la Nupes. « Il n’y aurait aucun sens à ce que nous votions une motion de censure qui est fondée sur des éléments politiques qui sont exactement l’inverse de ce que nous-mêmes nous reprochons au gouvernement. Nous leur reprochons leur gestion politique, économie, sociale, mais pas sur les mêmes fondements que la France insoumise. »
Côté Nupes, les positions se sont clarifiées. Mathilde Panot avait envisagé un temps que la Nupes vote la motion du RN. Jérôme Guedj, député PS de l’Essonne, revient sur ce point aujourd’hui. « Il est hors de question que nous votions une quelconque motion de censure déposée par le Rassemblement National. La chose est claire, c’est partagé par l’ensemble des parlementaires de la Nupes. Il n’y a pas d’état d’âme ou d’hésitation sur ce point-là. » Le gouvernement ne sera donc pas renversé, puisque seule l’addition des voix des LR, du RN et de la Nupes le permettrait. On reste par conséquent dans le symbole.
« Soumettre sa propre majorité »
Faut-il dénoncer, dans ce recours à l’article 49-3, une censure de l’opposition ? De fait, oui, puisque celle-ci n’est plus en mesure d’amender le projet de loi de finances. Mais selon Olivier Faure, Premier secrétaire du PS, le gouvernement vise aussi sa majorité. « Il y a une partie de la majorité aujourd’hui qui n’est pas heureuse dans cette majorité relative. Ils ont régulièrement voté avec les oppositions sur des sujets très divers, pas toute la majorité relative mais une partie de la majorité relative. Ce sont des partis entiers, comme le Modem, qui ont fait le choix de s’extraire du carcan que voulait leur imposer le président. Le 49-3 n’a pas une vocation uniquement de soumettre l’opposition, il y a aussi d’abord cette vertu, du point de vue du gouvernement, de soumettre sa propre majorité relative. »
Olivier Faure fait référence à l’amendement déposé par Jean-Paul Mattei, le président du groupe parlementaire du Modem. Il prévoit une majoration temporaire du prélèvement forfaitaire unique, ce qu’on appelle communément la flat tax. Le taux, aujourd’hui à 30 %, passerait à 35 %. Ce n’est pas le grand soir. Mais, malgré l’avis défavorable du gouvernement, l’amendement a été très largement adopté : 227 voix pour et 88 contre.
La gauche a voté pour, le RN aussi. Et surtout, 19 députés du groupe Renaissance se sont prononcés pour cette mesure ! Un camouflet pour l’exécutif. Au point qu’Élisabeth Borne a brandi le carton jaune. « Il n’y aura pas de prime à l’échappée solitaire » dans la majorité, a-t-elle déclaré mardi 18 octobre, lors de la réunion hebdomadaire du groupe Renaissance. La mise en garde ne semble pas ébranler l’auteur de l’amendement, Jean-Paul Mattei, président du Modem à l’Assemblée : « Échappée solitaire… Peut-être qu’il y a une petite pique à l’égard de certains, me concernant ou d’autres, mais non il faut qu’on avance. On est solidaire, on est dans la majorité, il n’y a pas de doute, mais on continuera à jouer notre rôle de parlementaires à plein. » Et de rajouter : « un bénéfice dans l’entreprise, il est vertueux dans le sens il investit, il crée des emplois et il permet de partager la valeur entre ses salariés. Dans la mesure où il est distribué, il est vertueux. Il correspond à une rémunération juste du capital. S’il y a une sur-rémunération, on peut s’interroger sur une petite fiscalité complémentaire. »
Le plein pouvoir du gouvernement
Le recours à l’article 49-3 suspend les débats autour du projet de loi de finances. Le gouvernement est libre de faire ce qu’il entend des amendements déjà votés par les parlementaires. Il peut les reprendre comme les écarter. Bref, il fait son marché. Et justement, Bruno Le Maire ne veut pas de l’amendement Mattei sur la taxation des superdividendes. Le patron des députés du Modem ne jette pas l’éponge pour autant. « Bien évidemment on ne votera pas la censure, on va être clair. On assumera notre rôle de parlementaires responsables. Mais je trouve que c’est dommage. Moi j’espère que cet amendement y sera encore. J’ai encore bon espoir. Ensuite, s’il n’est pas conservé, chacun assumera ses responsabilités. Mais on ne s’arrête pas là, je dirais que le cheminement législatif continue. Il continue au Sénat, dans le cas de la “navette”. »
Depuis lundi, Matignon échange avec les présidents des groupes parlementaires pour déterminer les amendements qui seront conservés. Des échanges dont sont exclus les présidentes de la France insoumise et du Rassemblement national. Élisabeth Borne considère que ces deux formations ne font pas partie de l’arc républicain. Ce tripatouillage indigne Alexis Corbière, député de Seine-Saint-Denis. « Ça c’est quand même singulier. Monsieur Le Maire nous dit avec verve “ La discussion oui, mais pas de marchandage.” Mais qu’est ce qui est en train de se passer si ce n’est un marchandage ? Alors il y a les bons et les mauvais. Moi je suis dans le camp des mauvais. Nous [LFI, ndlr], on n’est pas contacté. Mais au sein de la Nupes, certains le sont. Le président Vallaud nous a dit qu’il avait été appelé tout comme mes amis communistes et André Chassaigne. Mais pour ce qui est des insoumis, sans doute sommes-nous trop mal élevés, on n’est pas invités. Et le RN non plus, manifestement. Madame la Première ministre est passée à la télé pour dire : “Tous les présidents de groupe”. Elle s’est trompée. Dans son esprit, ce sont uniquement les présidents de groupe qui lui semblent avoir l’échine souple, ceux qui accepteraient un marchandage. Et je suis plutôt content de voir, que mes amis communistes ou les socialistes, sont un peu indignés de cette méthode. »
Qui plus est, ce marchandage ne s’embarrasse pas de formalités si l’on en croit Sandrine Rousseau. « De toute façon, la consultation s’est faite par SMS. Je ne sais pas dans quelle démocratie on consulte les présidents de groupe par SMS. Ça n’existe pas ! »
« Un parlementarisme de fait»
Il est quasiment acquis que diverses dispositions comme la taxation du carburant des jets privés, la réduction des impôts pour les plus petites entreprises ou le renforcement du crédit d’impôts pour la garde des enfants seront conservées. De même, le relèvement du plafond des Ticket-Restaurant à 13 euros, la prolongation du taux réduit de la TVA à 5,5 % sur les masques ou le crédit d’impôt sur la rénovation thermique dans les PME devraient être repris. Au total une centaine d’amendements seront intégrés dans le texte définitif. Pour mémoire, les députés avaient déposé 3 400 amendements.
Au fond, le bras de fer n’est pas tant entre le gouvernement et les oppositions qu’entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. C’est davantage la mécanique des institutions qui est questionnée par ce recours au 49-3 que les clivages partisans. C’est que Boris Vallaud, député PS des Landes, laisse entendre. « Nous sommes un Parlement, une Assemblée nationale plus pluraliste que jamais.Il se peut qu’à la faveur du débat parlementaire, le projet de budget de l’Assemblée ne soit pas celui du gouvernement. Mais c’est le Parlement souverain qui a délibéré, et nous en avons pendant plusieurs jours, fait la démonstration en adoptant des amendements qui venaient d’ailleurs de tous les bancs, y compris de ceux de la majorité. Aujourd’hui avec ce 49-3, ce ne sont pas les oppositions qui refusent de voter le budget du gouvernement, c’est le gouvernement qui refuse de voter le budget de l’Assemblée nationale. Il faudra que le président de la République, le gouvernement, se résolvent à changer de méthode et à considérer sérieusement et véritablement qu’aujourd’hui il y a un parlementarisme de fait. »