À force de les voir engoncés dans leurs petits costumes, policés à l’excès, on avait fini par oublier le vrai visage de l’extrême droite. Ces gens si raisonnables ne pouvaient plus être assimilés aux extrémistes qui ont fondé le Front national en 1972. Et pourtant… Ce jeudi matin, Thomas Ménagé, rapporteur de la proposition de loi du RN sur l’abrogation de la réforme des retraites s’est chargé de démontrer que la filiation était toujours vivace.
Je vais vous donner les noms de ceux qui empêchent, ceux qui empêchent l’abrogation ce matin. C’est madame Rousseau, c’est monsieur Guedj, c’est madame Leboucher, c’est monsieur Boyard, c’est monsieur Ratenon, c’est monsieur Clouet, c’est monsieur Lucas-Lundy, c’est monsieur Peytavie, c’est monsieur Simion, c’est madame Amiot.
Je ne continuerai pas la liste des traitres de ceux qui ont trahi les travailleurs, qui ont trahi les ouvriers, qui ont trahi les salariés, qui ont trahi tous les Français qui aujourd’hui n’arriveront pas à l’âge de la retraite. Voilà ce que vous êtes. Vous n’êtes que des traîtres au peuple qui travaille, qui souffre, qui a le dos cassé et qui n’arrivera pas à aller à 64 ans.
Thomas Ménagé, député RN, le 29/10/2024
À ce sympathique climat de délation ne manquaient que les salves des pelotons d’exécution. Général Alcazar sort de ce corps et retourne dans les pages de Tintin avec ton copain Tapioca. Si Thomas Ménagé a abandonné toute retenue, c’est parce que sa proposition de loi a été vidée de son contenu la semaine dernière par la droite et les macronistes en Commission des affaires sociales. La gauche s’est abstenue. Le Rassemblement national espérait pouvoir rétablir son texte par des amendements en début de séance, ce jeudi 31 octobre.
La proposition de loi jugée irrecevable
Mais mercredi soir, ils ont été jugés irrecevables par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet. Ce en vertu de l’article 40 de la Constitution. “Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique.”
En juin de l’année dernière, Yaël Braun-Pivet avait utilisé le même article pour vider de sa substance la proposition de loi transpartisane du groupe LIOT qui entendait déjà abroger la réforme des retraites. Le Rassemblement national ne pouvait l’ignorer.
Je pense qu’il y a des moments où il faut rappeler ce pour quoi on se bat. Lorsque nos députés viennent en masse voter, se mobiliser contre cette réforme des retraites d’Emmanuel Macron c’est parce que dans le passé on a été empêchés de débattre et empêchés de vote.
Je pense que cette portée, qui est peut-être symbolique, mais elle est honnête vis-à-vis de nos électeurs, et elle n’empêchera pas, quoi qu’il en soit, l’abrogation de la réforme des retraites qui, si elle ne passe pas aujourd’hui à travers l’adoption de notre texte, se représentera peut-être dans une niche d’autres groupes politiques.
Sébastien Chenu, député RN, le 31/10/2024
L’occasion d’abroger la réforme des retraites s’est présentée mardi, il y a deux jours donc, lors de la discussion du projet de loi de finances de la Sécurité sociale. Les députés du Nouveau Front Populaire ont présenté une série d’amendements créant, non des dépenses nouvelles, mais des recettes nouvelles. Dans la perspective, bien sûr, d’équilibrer les comptes de l’assurance vieillesse et de permettre ensuite à une conférence sociale de ramener l’âge de départ à 62 ans.
Une augmentation ciblée sur les hauts revenus
En clair, il s’agissait d’augmenter les cotisations retraite. Mais pas celles de tous les salariés. Seuls les plus aisés d’entre eux auraient été concernés. Petit florilège des propositions.
Il s’agit ici de proposer une ressource nouvelle à la branche vieillesse en mettant en place une surcotisation sur les revenus d’activité situés au-delà de deux fois le plafond mensuel de la Sécurité sociale. Pour être concret, c’est une surcotisation au-delà de 4945 euros mensuels après impôts.
Stéphane Peu, député GDR, le 29/10/2024
Cette surcotisation s’appliquerait aux revenus supérieurs à 4 fois le plafond annuel de la Sécurité sociale, soit environ 8700 euros nets par mois.
Océane Godard, députée Socialistes et apparentés, le 29/10/2024
C’est bien par les cotisations qu’il faut passer. C’est l’objet de cet amendement qui vise à augmenter la cotisation vieillesse déplafonnée sur les hauts revenus. Rassurons tout le monde, tout de suite : les hauts revenus dont nous parlons, ce sont les gens qui gagnent 3700 euros par mois et qui vont assumer en moyenne 10 euros par an de cotisation.
Élise Leboucher, députée LFI, le 29/10/2024
Mais le gouvernement, la droite et les macronistes ne l’ont pas entendu de cette oreille.
Vos amendements abordent un sujet identique qui est celui de la recherche de nouveaux modes de financement des retraites. Ils conduisent, vous le dites vous-mêmes, à augmenter les taux de cotisation d’assurance vieillesse selon deux modalités : pour les rémunérations supérieures à deux plafonds de la Sécurité sociale soit un peu plus de 90 000 euros bruts annuels, et pour les rémunérations supérieurs à 4 fois le plafond de la Sécurité sociale, un peu plus de 180 000 euros bruts annuels pour les employeurs et les salariés.
Cette initiative ne peut recevoir l’accord du gouvernement. En effet, vos propositions reviennent à alourdir de plusieurs milliards d’euros, entre cinq et sept milliards d’euros selon les amendements, pour de nombreux actifs.
Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail et de l’Emploi, le 29/10/2024
Par des amendements mal rédigés et pas financés, vous souhaitez mettre fin au vote et au débat de deux chambres qui représentent la nation. Sur le fond, c’est assez clair : vous voulez augmenter les cotisations, donc des impôts en plus.
Gérald Darmanin, député EPR, le 29/10/2024
Suspense
À ce moment-là, le Rassemblement national tient l’issue du scrutin entre ses mains. S’il vote les amendements du NFP, ces derniers seront adoptés.
Je m’adresse à vous, collègues députés du Rassemblement national. Qu’allez-vous faire ? Allez vous vous cacher à nouveau derrière votre petit doigt, à expliquer qu’on ne peut rien faire d’autre ? Vous avez le choix aujourd’hui de voter pour la création d’une conférence nationale de financement des retraites. Nous vous renvoyons à vos responsabilités.
Nous, nous savons ce que nous allons faire. Nous allons aujourd’hui aboutir à une réforme injuste et mettre en place du dialogue, du débat, et un vote.
Ayda Hadizadeh, députée Socialistes et apparentés, le 29/10/2024
Mais Thomas Ménagé préfère visiblement son petit doigt.
Cet amendement, chers collègues, il ne vise qu’à augmenter encore une fois les cotisations. Il ne vise, encore une fois, qu’à mettre en place votre dinguerie fiscale, chers collègues. Et hier soir, j’ai compris pourquoi vous menez cette esbroufe. Pourquoi vous mentiez autant aux Français.
Et je l’ai vu directement, en regardant monsieur Hollande, monsieur Rousseau, vous êtes responsables, le NFP, de cette situation. Vous êtes responsables de la situation et des 43 annuités. Vous êtes responsables de la réforme Touraine. Vous êtes responsables de la casse sociale. Voilà la situation. Vous devriez avoir honte d’avoir en votre sein ceux qui ont mené cette casse sociale.
Thomas Ménagé, député RN, le 29/10/2024
Que dit le député du Loiret ? Que le Nouveau Front Populaire ne veut pas vraiment abroger la réforme de l’année dernière, parce qu’il compte dans ses rangs François Hollande à qui l’on doit la réforme des retraites de 2014. Portée par Marisol Touraine, celle-ci allonge progressivement le nombre d’annuités nécessaires pour un taux plein. Quant à Aurélien Rousseau, aujourd’hui député socialiste des Yvelines, il fut directeur de cabinet d’Élisabeth Borne et à ce titre le principal artisan de la réforme des retraites dont le Nouveau Front Populaire réclame aujourd’hui l’abrogation.
Envolée salvatrice de Boris Vallaud
La réplique de Boris Vallaud, le président du groupe socialiste, a été cinglante.
Chacun aura dit ce que sont ces amendements. Et je voudrais dire à celles et ceux qui ont fait obstacle à l’exercice normal de la démocratie il y a quelques mois, que nous avons à réparer à la fois une injustice sociale et une brutalité politique. Parce que quoi qu’il en coûte à la démocratie, vous êtes passés en force et c’est ce que nous entendons réparer. Je voudrais dire ensuite à monsieur Wauquiez, qui formule beaucoup de critiques, que si j’en ai le souvenir juste, il n’avait pas voté la réforme de madame Touraine.
Je voudrais enfin m’adresser à mes collègues du Rassemblement national. Oui, vous avez raison. Vous n’avez aucune part dans la réforme des retraites, comme vous n’avez aucune part dans la création de la Sécurité sociale, comme vous n’avez aucune part dans la création de l’assurance maladie, comme vous n’avez aucune part dans la création de l’assurance chômage, comme vous n’avez aucune part dans tous les progrès sociaux parce qu’en 1946 vous n’étiez pas sur ces bancs, vous étiez sur d’autres bancs, ceux de vous êtes les héritiers étaient sur des bancs, ceux des accusés avec des comptes à rendre.
Nous avons un héritage à défendre, vous avez des héritiers à gérer.
Boris Vallaud, député Socialistes et apparentés et président du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale, le 29/10/2024
Le Rassemblement national sauve une fois de plus la droite et les macronistes
Il n’empêche. Le Rassemblement national a une nouvelle fois sauvé la droite et les macronistes. Edgar Faure, grande figure de la IVe République, se plaisait à répéter que ce n’est pas la faute des girouettes si le vent tourne. Le Rassemblement national marche brillamment dans ses pas.
En commission, le RN a voté les amendements. Et puis en séance, il a voté contre. Où est la cohérence dans tout ça ? On cherche encore. La bagarre pour l’abrogation de la réforme n’est pas terminée.
Je pense que pour les Français le rendez-vous à retenir c’est le 28 novembre, c’est notre niche parlementaire, la niche du groupe France insoumise. Et notamment, peut-être que c’est un peu de la tambouille parlementaire mais c’est quand même important de comprendre.
Ca commencera pendant la niche France insoumise à l’Assemblée nationale le 28 novembre. Ensuite on a la niche du groupe communiste ou socialiste au Sénat, puis la niche des écologistes en retour à l’Assemblée nationale. On a une vraie possibilité, et j’espère une vraie majorité pour abroger cette réforme des retraites odieuse.
Clémence Guetté, députée LFI et vice-présidente de l’Assemblée nationale, le 29/10/2024
Nous avons à la fois le gage tabac et un gage superprofits qui était y compris une taxe qui avait été acceptée largement par le MoDem puisque nous voulons réussir l’abrogation de la réforme des retraites. Sur la question de la recevabilité des propositions de loi.
Vous le savez, ça passe au départ par les vice-présidents en charge de la recevabilité et lorsqu’il y a des désaccords, ensuite, ça passe en dernier recours devant le bureau. Et vu le nombre d’argent que nous sommes en train de récupérer dans le PLFSS, puisque nous avons déjà récupéré 15 milliards dont 10 milliards juste hier, nous montrons que nous pouvons tout à fait financer cette abrogation de la retraite à 64 ans.
Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 31/10/2024
Le petit souci, c’est que ce financement n’est pas acquis pour l’instant. Tant que le budget n’est pas définitivement adopté, les recettes fiscales sont hypothétiques. Quant au gage sur le tabac, c’est-à-dire une compensation du coût de l’abrogation par une augmentation du prix des cigarettes, c’est un artifice éculé. Si le tabac était vraiment mis à contribution, le prix du paquet de clopes avoisinerait celui du lingot d’or. Bref, il n’est pas sûr que cette proposition de loi de la France insoumise arrive intacte en séance.